Covid-19 : quels impacts sur les conditions de travail des femmes et des hommes ?
La crise sanitaire a rendu plus visibles certaines inégalités de conditions de travail et d’expositions aux risques professionnels des femmes et des hommes au travail, qui sont par ailleurs observées depuis de nombreuses années. Tour d’horizon avec Pascale Mercieca, Karine Babule chargées de mission à l’Anact et Florence Chappert, responsable de département.
Actualité - Publié le 06 août 2020 - Modifié le 12 juin 2024
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En termes de mixité et de conditions de travail, qu’est-ce que l’on découvre ou que l’on redécouvre à l’occasion de la crise sanitaire du coronavirus ?
Dans plusieurs des secteurs où le travail a dû être maintenu sur site pendant le confinement - comme la santé, la grande distribution, le nettoyage , les femmes sont surreprésentées. A titre d’exemple : 7 agents d’entretien sur 10 sont des femmes, 9 sur 10 sont des femmes pour les infirmiers ou pour les préparateurs en pharmacie. A l’inverse, les éboueurs sont à 99% des hommes, comme les agents de sécurité, et 71 % constituaient le personnel des pompes funèbres en 2015.
En temps normal, ces métiers sont exposés à des conditions de travail difficiles, qui ont été longtemps invisibilisées. Par exemple les ports de charges lourdes restent mal reconnus chez le personnel soignant. Cette pénibilité est encadrée par une norme différente pour les femmes et les hommes dans le code du travail, mais dans la réalité, elles et ils soulèvent, retournent, déplacent les malades, sans aide technique, surtout s’il y a urgence. Ces pénibilités sont d’autant plus fortes quand l’acte professionnel – qui doit s’accompagner pour les soignants d’un temps nécessaire pour la relation - est calculé et chronométré. Cette double activité non reconnue (technique et relationnelle) explique une non-reconnaissance et parfois une perte de sens au travail. Cela constitue des facteurs d’apparition des risques psychosociaux que la crise donne à voir sous un nouveau jour.
Et concernant les parcours, que retient-on de la période passée ?
Les secteurs mobilisés par le travail sur site pendant la crise où les emplois sont majoritairement occupés par des femmes, sont aussi des secteurs où les emplois sont peu rémunérés et où les parcours complexes. La question des primes pour reconnaître l’effort fourni pendant la crise est importante mais cela ne suffira pas.
En période de dé confinement, différentes populations vont se retrouver : celles qui ont travaillé sur site, en télétravail, en chômage partiel. Et le sujet de l’équité et de la reconnaissance du travail se posera aux niveaux des branches et des entreprises, avec un enjeu de valorisation des métiers basé sur les conditions de travail réelles « à travail de valeur égale, salaire égal ». Des sujets qui invitent à questionner la pénibilité du travail, les questions d’usure professionnelle, de parcours, de retraites.
Concernant l’articulation des temps, observe-t-on également des différences quant au télétravail ?
La consultation menée par l’Anact sur le télétravail fait apparaître un ressenti du télétravail plus difficile parmi les personnes occupant des postes disposant de peu d’autonomie, et qui n’avaient pas l’expérience du travail à distance. On peut faire l’hypothèse que c’est le cas de certains métiers féminisés, perçus comme a priori non télétravaillables, comme les métiers d’assistanat par exemple. Prendre en compte les retours d’expériences de ces personnes qui ont exercé le télétravail pour la première fois et mieux structurer le travail à distance ponctuel ou régulier est nécessaire pour anticiper d’autres crises et éviter les situations difficiles voire la mise au chômage partiel faute d’équipements et d’organisations prévues pour télétravailler.
Le télétravail exceptionnel confiné a, par ailleurs, provoqué un cumul des temps professionnel et personnel, source de charge mentale et a posé la question de la répartition des temps entre les femmes et les hommes. Pour rappel, les études montrent que les femmes ajustent davantage que les hommes leur organisation du travail, en période « normale », en contexte de parentalité. En a-t-il été autrement en situation de crise ? On sait qu’un sentiment de culpabilité a été ressenti parmi les télétravailleurs et télétravailleuses quant à l’atteinte des objectifs personnels et professionnels, source de troubles psycho-sociaux. Par ailleurs les femmes ont été surexposées durant le confinement aux violences conjugales. Au regard de la nouvelle convention internationale de l’OIT auquel la France a souscrit, la question se pose de savoir, quelles modalités organisationnelles, seront déployées, pour préserver leur emploi et leur sécurité (mobilisation du travail sur site distant, octroi de congés spéciaux...).
Si les inégalités professionnelles femmes-hommes sont multi factorielles, comment l’entreprise peut-elle réellement et concrètement agir, surtout en contexte de reprise ?
L’entreprise peut agir à 3 niveaux :
- au travers de politiques de prévention des risques professionnels, qui prennent en compte ces différences d’expositions entre les femmes et les hommes, selon leurs situations de travail, ens’appuyant sur un document unique d’évaluation des risques réactualisé et un plan de prévention ;
- lors des négociations collectives considérant les conditions de travail des femmes et des hommes (sur les Plans de reprise, le temps de travail, …) ;
- à l’occasion des projets de transformations organisationnelles (refonte du cadre du télétravail, introduction des outils numériques dans certaines activités par exemple, etc…).
Pour cela, 3 points de méthode incontournables :
- disposer de données sexuées sur les postes (BDES, INDEX);
- garantir la mixité des instances opérationnelles et décisionnelles ;
- simuler les situations de travail futures des femmes et des hommes.
Pour aller plus loin : découvrez le dispositif Objectif Reprise du ministère du Travail