Retour sur le séminaire « Les IA génératives au travail : de l'ensauvagement des pratiques à la domestication des usages ? »
Consacrée aux IA génératives au travail, la deuxième journée du cycle de séminaires « IA et travail » a réuni différents experts français et internationaux. Organisé par l’Anact et l'OIT, ce cycle permet d'éclairer les enjeux de l’introduction et le déploiement des systèmes d’intelligence artificielle dans les entreprises.
Actualité - Publié le 29 janvier 2025 - Modifié le 14 février 2025

Introduction du webinaire - Vincent Mandinaud (Anact) et Cyril Cosme (OIT)
Quels effets potentiels des IA génératives sur la quantité et la qualité des emplois ? - Janine Berg (OIT)
Intervention de Janine Berg, économiste principale de l'Organisation Internationale du Travail (OIT), à l'occasion du séminaire « Les IA génératives au travail : de l'ensauvagement des pratiques à la domestication des usages ? » du 3 décembre 2024.
« Les IA génératives ne provoquent pas une apocalypse de l'emploi mais engagent une responsabilité collective pour accompagner ces transformations [...] La négociation collective est très bien adaptée pour cela. Mais un texte juridique ne suffit pas. Il est nécessaire d’avoir un va et vient, un échange, un dialogue sur la conception et les changements technologiques. »
La présentation de Janine Berg montre que le déploiement des IA génératives transforme le travail plutôt qu'il ne supprime des emplois, avec une exposition variable selon les professions : élevée pour les employés administratifs, faible pour les artisans et agriculteurs. Les pays riches sont plus exposés que les pays en développement, et les femmes, majoritaires dans les emplois administratifs, sont particulièrement concernées. L'IA peut automatiser ou améliorer les tâches, impactant managers et employés. Les usages se divisent en descendants (par exemple, le recrutement RH) et ascendants (par exemple, la rédaction, traduction). Les implications politiques de ces usages nécessitent de préserver les droits fondamentaux, de garantir la santé et la sécurité au travail, et d'encourager le dialogue social pour inclure les travailleurs dans la conception des processus de transformation numérique des environnements de travail.
L’IA est-elle (enfin) employable ? - Yann Ferguson (INRIA)
« Aujourd’hui l’écrasante majorité des cas d’usage de l’IA au travail se sont des initiatives d’employés, qui utilisent un système d’IA non-validés par leur direction, parfois contre les directives de leurs managers, et qui le font de manière clandestine. On entend beaucoup parler de Shadow AI, car le phénomène de l’IA générative au travail est en effet largement en mode shadow. »
Dans cette présentation Yann Ferguson montre qu’avec les IA génératives le niveau d’incompétence de l’IA et les promesses qui lui sont associées se déplacent. En 10 ans, on est passé à une IA capable de ne pas seulement automatiser des tâches répétitives mais aussi des tâches cognitives de haut niveau. Le corps, la créativité, l’intelligence sociale ne protègent plus d’une exposition à l’IA. Les managers, les directeurs généraux, les ingénieurs sont les métiers désormais les plus exposés. Pourtant, ces applications d’IA générative sont indignes de confiances au sens où elles se déploient en dépit des grands principes de « l’IA de confiance ». Les études récentes donnent à voir un partage inéquitable des bénéfices de l’IA dans les milieux de travail, et pointent des enjeux autour de la structuration des collectifs de travail. Elles soulèvent des problèmes d’altération des liens de connaissance, d’affaiblissement de la qualité des connaissances, de valorisation des expériences et des expertises et des capacités d’apprendre et de se professionnaliser en situation de travail. Le défis RH actuel consiste à organiser et accompagner la sortie des usages clandestins de l’IA générative, en conservant un équilibre entre les directions et les collaborateurs dans l’exploitation des gains de productivité qui leur sont associés.
IA Générative dans l’éducation : quels transformations et défis professionnels ? - Lyse Langlois (OBVIA)
« Je ne vais pas vous parler directement de l’IA générative, car l’IA générative est peut-être l’arbre qui cache la forêt. Il y a d’autres applications qui ont des retombées importantes sur les pratiques professionnelles. »
Lyse Langlois propose de décortiquer une expérimentation réalisée dans le cadre d’un projet avec le ministère de l’éducation et les organisations scolaires, en tant qu’elle soulève des questions similaires à celles qui peuvent se poser à propos de l’IA générative, ou les normes sociales et managériales sont en jeu. C’est dabord le contexte de mise en œuvre de l’IA et les préoccupations scientifiques associées qui sont précisés, puis c’est l’assise du projet d’IA prédictive dans l’éducation au Québec qui est examinée, avant de déboucher sur les défis et les questionnements soulevés tant pour les professionnels de l’éducation, que pour les gestionnaires ou les syndicats. De la gouvernance par les nombres au management par les données ou encore à la gestion algorithmique il n’y a qu’un pas. Des risques éthiques se font jour relativement aux élèves et aux parents, mais aussi aux enseignants qui voient leur rôle devenir de plus en plus étroit, leurs aptitudes possiblement se réduire et leur jugement professionnel être restreint. L’IA n’augmente pas automatiquement l’efficacité. Dans certaines conditions (organisationnelles, culturelles, institutionnelles), elle peut même, si l’on y prend garde, augmenter les inégalités à travers les données, les catégories, le langage et aussi permettre la surveillance et l’évaluation des professionnels. C’est l’histoire du décalage d’un projet technocentré vers une approche sociotechnique plus équilibrée qui est racontée ici.
Quels sont les enjeux éthiques et politiques de l’algorithmisation des activités professionnelles ? - Thierry Ménissier (UGA)
« Aucune innovation ne s’est faite sans heurts et il faut viser une véritable confiance distincte de la notion de fiabilité, afin de relier les acteurs professionnels dans une chaîne de sens. »
À partir d’une approche réaliste du phénomène sociotechnique inspirée de Machiavel, Thierry Ménissier montre que l’IA est sociale avant d’être technologique car les SIA sont susceptibles de prendre la place des humains dans leurs activités socialisantes. Cela conduit non seulement à des formes d’exploitation invisible des usagers-consommateurs-clients, mais soumet également plusieurs domaines de rationalité humaine à la rationalité algorithmique. Il alerte sur le risque majeur induit par l’algorithmisation des activités humaines et plus encore du management et propose de constituer la clinique de la maltraitance algorithmique. Il s’agit donc d’un cas d’innovation sans progrès. Pour échapper à l’algorithmisation des activités humaines, il propose de repenser le cadre social de dialogue entre l’humain et la machine en s’appuyant sur le dialogue social technologique et une éthique de l'usage. Il propose de faire pratiquer l'éthique à travers la pluralité des formes de raisonnements éthiques et politiques. Refusant de se limiter à une éthique minimaliste assurant l'agencement d'intérêts individuels et collectifs, il préfère développer le perfectionnisme moral et l'axiologisme.
Regards croisés des acteurs du dialogue social - Franca Salis-Madinier (CFDT Cadres) - Ludovic de Carcouet (MEDEF Vendée) - Magali Bounaix (DGEFP)
Retour sur le séminaire « Intelligence artificielle de quoi parle-t-on ? Quels enjeux pour les milieux de travail »
