Les récits
du travail


TRAVAIL SOUS HAUTE-TENSION :
L'EXPÉRIENCE DU RÉSEAU
DE TRANSPORT D'ÉLECTRICITÉ





Il est 2h20 et l'alarme pour intrusion s’est déclenchée dans l’un des groupements de postes électriques gérés par Réseau de Transport d’Électricité (RTE). Stéphane, l’opérateur d’astreinte, se rend sur le site de l’incident. Le temps de faire le tour des installations et de tout contrôler, il a passé deux heures, seul, au poste en pleine nuit.

La situation n’est pas inhabituelle chez RTE, l’entreprise gestionnaire du système électrique en France continentale. Premier réseau de transport d’électricité d’Europe, RTE exploite, entretient et développe plus de 100 000 km de lignes électriques à haute et très haute tension qui acheminent l'électricité depuis les unités de production françaises vers les industries et les réseaux de distribution. En particulier au sein de cette entreprise aux métiers de technicité élevée, la sécurité concerne tout autant la santé des salariés que les performances de l’entreprise. En 2015, RTE décide d’aborder ces questions sous l’angle global de la qualité de vie au travail (QVT), accompagné dans cette voie par l’Anact. Libérer la parole en interne sur le travail et faire progresser les conditions de travail des salariés : ces enjeux seront abordés, en complémentarité d’autres dispositifs existants déjà sur le sujet (notamment, le réseau des correspondants QVT), dans une nouvelle instance de dialogue originale : la Fabrique.


DE L’ÉLECTRICITÉ DANS L’AIR

Avant de retracer l’histoire de la Fabrique, revenons aux 8500 hommes et femmes qui oeuvrent chez RTE. Parmi les métiers parfois difficiles de l’électricité, largement occupés par les hommes, il y a la maintenance du réseau, le métier qu’exerce Stéphane.

Comme lui, 4 200 collaborateurs (dont 7% de femmes) se relaient jour et nuit pour garantir le fonctionnement optimal des postes électriques, des lignes et des équipements automatiques. Qu’il s’agisse de chantiers de maintenance classiques ou d’interventions d’urgence, leur mission implique une vigilance de tous les instants.

Ces métiers de la maintenance sont ceux du groupement de postes Val de Seine à Issy-les-Moulineaux, au sud de Paris. Ici, 12 collaborateurs (techniciens, contremaîtres de maintenance...) entretiennent une vingtaine de postes électriques répartis sur une zone s’étendant de Versailles à Villejuif.

« PARMI LES MÉTIERS DIFFICILES DE L'ÉLECTRICITÉ, ENCORE LARGEMENT OCCUPÉS PAR LES HOMMES, (....) »

CHAPITRE 1  
AU COEUR DES MÉTIERS
DE LA MAINTENANCE

COMME UNE PETITE ENTREPRISE

Il est 7h30, un jeudi matin, au groupement de postes Val de Seine. Comme chaque semaine, Laurent Blaise, responsable du groupement de postes Val de Seine et Stéphane Collin, son adjoint, animent la réunion d’astreinte. Cette réunion est l’un des moments clés de la vie de l’équipe : l’occasion de faire le point sur le déroulement de la semaine en cours, notamment pour les deux opérateurs d’astreinte qui passent le relai aux prochains. Laurent pilote le groupement depuis un an et demi, après avoir fait ses débuts au dispatching.

Il apprécie le travail avec son équipe avec laquelle il essaie d’instaurer un management participatif et en interaction directe avec chacun. Sa vision du métier est claire : « Le chef de groupement de postes est comme le dirigeant d’une PME ».

Il cherche à conjuguer contrôle et délégation car Laurent attache également beaucoup d’importance à sa participation à des instances plus transversales dans l’entreprise qui, si elles l’éloignent du terrain, lui permettent de partager les expériences avec ses homologues chez RTE.

En tant que responsable adjoint, Stéphane a un regard managérial différent de celui de Laurent. Sa responsabilité est la planification des chantiers et la gestion au quotidien, notamment des urgences et avaries qui se présentent en permanence. Pour lui, « le planning et ses changements fréquents sont au cœur de l’activité du groupement de poste : une contrainte permanente à intégrer ».

DE JOUR COMME DE NUIT

L’ambiance de travail est sérieuse mais détendue dans cette équipe à taille humaine, qui mêle des profils jeunes à des collaborateurs plus expérimentés. Une équipe exclusivement masculine.

À l’exception de Laurent et de l’apprenti, tous se côtoient à la fois en tant que collègues et voisins, puisqu’ils sont logés par RTE à proximité du groupement.

Ce système permet aux personnels d’être réactifs de jour comme de nuit, en cas d’avarie. Lorsqu’une alarme se déclenche, l’équipe d’astreinte vérifie le poste concerné. Elle a ensuite 40 minutes pour se rendre sur les lieux : c’est une contrainte dans cette zone d’Île-de-France où la circulation peut être difficile.

« UNE ÉQUIPE EXCLUSIVEMENT MASCULINE DANS DES MÉTIERS QUI PEINENT À RECRUTER DES FEMMES. »

UN MÉTIER DE GÉNÉRALISTE

LES ACCIDENTS SURVIENNENT QUAND LE CHANTIER PREND DU RETARD ET QU’ON VEUT FINIR MALGRÉ TOUT. PAR EXEMPLE, PARCE QU’IL FAUT RESTITUER LA LIGNE LE VENDREDI SOIR.

« C’est un métier qui demande de la confiance, de bonnes relations » commente Michaël Diaz-Gomez, technicien contremaître et représentant CGT au Comité Hygiène Santé et Conditions de Travail (CHSCT) du Val-de-Seine. Le travail est complexe et parfois, on veut aller vite, ce dont Michaël se préserve à tout prix. Selon son expérience, « les accidents surviennent quand le chantier prend du retard et qu’on veut finir malgré tout. Par exemple, parce qu’il faut restituer la ligne le vendredi soir.»

La gestion du stress est inhérente au métier et l’expérience permet de mieux assumer la responsabilité d’assurer la sécurité sur une zone de travail. « Les avaries sur le réseau sont souvent liées à des 'agressions' de nos ouvrages par des tiers sur le domaine public ». De profil expérimenté, Michaël a connu un long parcours au sein tout d’abord d’EDF puis chez RTE. Il compare volontiers son métier à celui d’un médecin généraliste : « on touche à tout : mécanique, électricité, nettoyage, entretien… On est très polyvalent ».

LA SÉCURITÉ SUR LE FIL... DU COLLECTIF

Toutes les interventions demandent une planification en amont : anticipation et coordination sont les maîtres mots d’un chantier RTE sécurisé. C’est d’ailleurs un mot que chacun martèle : la « sécurité ». Ici, c’est la vie des personnes qui est en jeu. Une opération réalisée trop vite peut ouvrir la porte à un accident, grave ou mortel.

Et les risques sont d’autant plus élevés que le nombre d’intervenants est grand, comme lorsque des prestataires externes (ENEDIS, SIEMENS...) interviennent sur un chantier placé sous la responsabilité de RTE. Les opérateurs ont cette conscience aigüe du danger , car ils le côtoient tous les jours.

« ICI, C'EST LA VIE DES PERSONNES QUI EST EN JEU. »

L'ART DE LA « PREP »

Pour se prémunir des risques, chaque opération est préparée avec un document spécifique : la préparation de travail (ou « prép’ ») qui indique le matériel à utiliser, les risques, les modalités techniques et les consignes d’intervention, schémas à l’appui. Le document est signé par son rédacteur, vérifié par un autre opérateur et chaque intervenant y appose sa signature. Cette pratique de contre-vérification entre collègues est un gage de sécurité supplémentaire.

Très souvent, les équipes RTE sont amenées à intervenir en même temps qu’une autre entreprise (on parle de « co-activité »). Un soin supplémentaire est alors nécessaire dans la préparation de travail afin d’assurer la sécurité de tous. Thierry Rodrigues, opérateur de maintenance, a rédigé la veille plusieurs préparations de travail. C’est le benjamin de l’équipe, mais il a déjà une expérience de 4 ans au sein de RTE qui l’a formé 2 ans en alternance puis 6 mois sur le site de Lyon-Jonage à son embauche. Selon lui, ce métier englobe « une variété d’activités : le manuel sur les chantiers et la préparation de travail en amont ».

Si la « prép’ » permet de quadriller la sécurité en amont d’un chantier, tous les accidents survenus dans l’entreprise sont aussi systématiquement débriefés avec l’équipe, même s’ils concernent d’autres métiers. « Cela leur permet de garder toujours à l’esprit que ça arrive plus souvent qu’on ne croit », commente Laurent. Tous ont d’ailleurs en tête des histoires d’accidents graves, qui les ont touchés de près ou de loin.

« TOUS LES ACCIDENTS SURVENUS DANS L’ENTREPRISE SONT AUSSI SYSTÉMATIQUEMENT DÉBRIEFÉS AVEC L’ÉQUIPE, MÊME S’ILS CONCERNENT D’AUTRES MÉTIERS. »

« L'ATTACHEMENT AU MÉTIER ET LE SENS DU SERVICE PUBLIC EST UN RESSENTI TRÈS PARTAGÉ AU SEIN DE L'ÉQUIPE. »

LE SENS DU SERVICE PUBLIC

L’attachement au métier et le sens du service public sont des valeurs très partagées au sein de l’équipe, en particulier chez ceux qui ont connu l’époque où distribution, production et transport de l’électricité étaient rassemblés en une seule entité. Aujourd’hui, les salariés de RTE côtoient toujours ENEDIS sur les chantiers et une part d’entre eux a travaillé auparavant chez EDF. C’est le cas d’Olivier Murat, chargé d’exploitation, qui a une longue expérience chez EDF-RTE et aime endosser un rôle de formateur et de « passeur de culture » d’entreprise. Sa vision du métier : « la fierté d’effectuer une mission de service public, surtout lors d’événements graves comme la tempête de 1999 ou celle de Martinique en 2006 ».

Cette capacité à intervenir dans des circonstances exceptionnelles est évoquée par tous, de la tempête de 1999 à d’autres événements plus récents comme cet incendie d’un transformateur survenu en juillet 2018 au groupement de postes Val de Seine. L’incendie ayant coupé l’alimentation en électricité de la gare Montparnasse, l’intervention a été effectuée en un temps record, en mobilisant de nombreuses équipes provenant de plusieurs métiers de l'entreprise, malgré cette période de l’année où de nombreux salariés étaient en vacances. Autant d’épisodes inoubliables qui forgent les collectifs et exacerbent le sens et la fierté du métier. « Le dépannage et la continuité de l’alimentation électrique, c’est ce qui donne sens à l’action de tous », confie Laurent.

FAIRE PASSER LE COURANT... ET LES MESSAGES

« LA FRANCHISE ET LE PARLER-VRAI SONT AU COEUR DE LA DYNAMIQUE COLLECTIVE (...) »

Au sein de l’équipe Val de Seine, la franchise et le parler-vrai sont au coeur de la dynamique collective et facilitent l’exercice de ces métiers difficiles dans les meilleures conditions possibles. En-dehors de la réunion hebdomadaire d’astreinte, chaque journée commence par un point d’une demi-heure sur le travail en cours, les chantiers et les planifications.

Ce matin, une réunion d’organisation des chantiers de maintenance classique a lieu, afin de préparer l’année prochaine. Stéphane a décidé d’y amener avec lui Rony, un opérateur de l’équipe : « J’aurais pu y aller seul mais la présence de Rony permet de faire comprendre les choses différemment aux membres de l’équipe ».

PARTICULARITÉS FRANCILIENNES

Après les réunions du matin, une partie de l’équipe se rend à Villejuif sur le poste de Crétaine, soit 9 kilomètres de distance mais 35 minutes de trajet sur un périphérique ralenti. C’est l’une des caractéristiques des chantiers de RTE en Île-de-France : « selon les heures, c’est parfois très compliqué. Dans le reste de la France, il y a davantage de kilomètres entre les postes mais le trafic est plus fluide, surtout en milieu rural. » Autre différence spécifique aux grandes agglomérations : Crétaine est un poste « en bâtiment ». Contrairement aux postes électriques aériens qu’on trouve en milieux ruraux, les éléments sous tension sont contenus dans des « tubulures » métalliques, gros tuyaux remplis de gaz sous pression, au pouvoir isolant supérieur à l’air.

AU COEUR DU CHANTIER, TRAVAILLER EN CO-ACTIVITÉ

À Crétaine, la co-activité est courante : 5 entreprises interviennent en ce moment en même temps sous la houlette de RTE. Aujourd’hui, l’équipe Val de Seine vient remplacer 4 densistats, sortes de capteurs permettant de surveiller la densité de gaz dans les tubulures. Laurent Blaise a obtenu le budget pour les changer : « Cela représente 80 000 euros d’investissement et nécessite une anticipation importante : il faut 10 mois pour la fabrication de la pièce ».

« 5 ENTREPRISES INTERVIENNENT EN CE MOMENT EN MÊME TEMPS SOUS LA HOULETTE DE RTE. »

« IL Y A UNE NOTION TRÈS PRÉSENTE DANS NOTRE PRÉPARATION : LE POINT D’ARRÊT. »

Le chef de groupement vérifie la préparation de chantier établie par Thierry et les fiches d’accès pour la co-activité avant de faire un tour de chantier. Il s’assure que ses équipes ont bien sécurisé leur travail en portant leurs équipements de protection, en délimitant clairement leur zone d’intervention... Aujourd’hui, tout se passe bien car les procédures sont respectées, mais près d’équipements sous haute tension, le moindre écart avoir de lourdes conséquences. Comme le souligne Olivier, « il y a une notion très présente dans notre préparation : le point d’arrêt. Au moindre doute, le point d’arrêt vaut mieux que l’action irréfléchie ». Ici, pas de place à la précipitation.

CE QUI FAIT L’ADN DU MÉTIER

De retour sur le site Val de Seine, les membres de l’équipe échangent à nouveau. Outre les questions de sécurité, d’organisation et de planification, l’avenir de l’entreprise et l’évolution des métiers affleurent dans la discussion.

« Nous étions 18 avant la réorganisation qui a eu lieu en 2012. Des postes de proximité ont été fermés et les équipes sont de plus en plus éloignées des chantiers d’intervention », explique Michaël. Aujourd’hui, 12 personnes constituent l’équipe. La polyvalence, la proximité, l’équilibre entre astreintes et jour de repos… Personne ne veut perdre ce qui fait l’ADN du métier, qui permet d’assurer un service public de qualité mais aussi de « tenir » malgré les conditions difficiles.

« LA POLYVALENCE, LA PROXIMITÉ, L’ÉQUILIBRE ENTRE ASTREINTES ET JOUR DE REPOS… PERSONNE NE VEUT PERDRE CE QUI FAIT L’ADN DU MÉTIER, (...) »

SAVOIR CONJUGUER LES TEMPS... ET DÉCONNECTER

Si les visions et points de vue peuvent diverger, tous les collaborateurs de Val de Seine évoquent la nécessité de communiquer, de travailler en équipe, mais aussi de pouvoir « faire la part des choses ». L’articulation des temps professionnels et personnels est une problématique forte, encore plus chez les personnels d’astreinte. Cela peut aider à comprendre les difficultés de recrutement de femmes dans ces métiers. Pourtant, « l’équilibre entre temps personnel et professionnel, pour moi, c’est cela la qualité de vie au travail, estime Olivier. La journée de repos dans la semaine et le logement à moins d’un kilomètre contribuent à créer un équilibre, mais ce mode de vie est aussi vécu comme un engagement supplémentaire. « C’est confortable mais cela exige une disponibilité plus grande en contrepartie. J’ai 20 ans d’entreprise, soit 20 ans d’astreinte. Ça devient un mode de vie, presque une addiction… », complète Olivier. La semaine s’organise ainsi en 35 heures sur 4 jours, entrecoupés d’un jour de repos, pour relâcher la tension.

« J'AI 20 ANS D'ENTREPRISE, SOIT 20 ANS D'ASTREINTE. ÇA DEVIENT UN MODE DE VIE, PRESQUE UNE ADDICTION (...) »

LEÇONS DE (QUALITÉ DE) VIE AU TRAVAIL

Le groupement de postes Val de Seine le montre bien : les relations de travail, apaisées et « soutenantes », entre collègues et avec le chef d’équipe sont le terreau de la sécurité, de la qualité et du sens du travail. Le parler-vrai, l’échange et le débrief constants, de manière structurée ou plus informelle, sont indispensables dans des contextes de travail sensibles. Personne ne se considère à l’abri d’un accident et la vigilance est de mise. Mais, comment encourager ces relations d’entraide et de confiance ici et dans tous les sites de l’entreprise ? Loin de ne reposer que sur les relations interindividuelles, le management, les organisations syndicales et les experts en prévention peuvent créer des dispositifs qui permettent de développer le dialogue sur le travail. C’est ainsi que la réflexion est lancée et permet de réinventer le dialogue social intégrant toutes les parties prenantes, dans un lieu innovant et original.

  CHAPITRE 2 PARLER DU TRAVAIL :
L’EXPÉRIENCE DE LA FABRIQUE

La prise de conscience a lieu en 2015. Au sein de la Direction des Ressources Humaines de RTE, le département Santé, Sécurité et Qualité de vie au travail (SSQVT) devenu Prévention et Santé au Travail (PST) est en veille : accidents, risques psychosociaux, prévention des risques : la liste des sujets liés à la qualité du vie au travail est fournie.

Sous la houlette du responsable du département Olivier Frachon et de Vincent Fournet, correspondant QVT en Île-de-France, une rencontre est organisée entre RTE et l’Anact.

L’objectif : comprendre comment se joue la qualité de vie au travail chez RTE et remettre au centre des préoccupations la question du travail, notamment, la discussion sur ce sujet au sein de l’entreprise. Comme à Val de Seine, parler du travail au quotidien, débriefer sur les problèmes rencontrés par les collectifs et les managers, évoquer ce qui se passe mal et ce qui fonctionne bien sont les sujets au cœur de la rencontre.

« L’OBJECTIF : COMPRENDRE COMMENT SE JOUE LA QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL CHEZ RTE ET REMETTRE AU CENTRE DES PRÉOCCUPATIONS LA QUESTION DU TRAVAIL (...) »

GENÈSE DE LA FABRIQUE

Le constat est posé : si la qualité de vie au travail est une aspiration partagée par tous, elle ne fait pas l’objet d’une politique d’entreprise spécifique, ni même d'une définition stabilisée et partagée. Les conditions semblent pourtant réunies pour lancer une réflexion en interne sur le sujet.

Les enjeux sont multiples : tendre vers le mieux-être au travail pour améliorer la performance, innover en matière organisationnelle et managériale, préserver à long terme la santé et la sécurité des salariés... mais aussi le sens que chacun place dans son travail.

Pour ce faire, la mobilisation de tous les acteurs concernés paraît d’emblée indispensable : en 2010, l’accord sur les risques psychosociaux avait été rédigé avec les organisations syndicales mais ne sera finalement pas signé par toutes. C’est en référence à ce rendez-vous manqué qu’émerge l’idée d’un observatoire de la qualité de vie au travail, animé par le département SSQVT et par Vincent Fournet en particulier. « C’est à l’occasion de la présentation de l’accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail qu’est née l’idée former un groupe pluridisciplinaire. Il faut permettre l’expression de tous les représentants de l’entreprise ».

L’idée est de rassembler toutes les parties prenantes au sein d’un observatoire pluridisciplinaire qui complèterait et nourrirait les instances de dialogue social classiques. Un observatoire au format innovant où chacun apporte sa contribution à la QVT, sans préjugé ni tabou, où le principe du débat et l’échange de points de vue est légitime et souhaité. Un observatoire qui ancre sa réflexion dans le terrain et irrigue des initiatives locales. Sur le fond et la forme, l’ambition est de travailler sur ce qui unit et de pouvoir débattre de ce qui divise. La Fabrique est ainsi née.



AVANCER DANS L’INSTABILITÉ

« LE DISPOSITIF N’EST PAS FACILE À FAIRE VIVRE. TOUT D’ABORD, SA LÉGITIMITÉ DOIT ÊTRE CONSTRUITE EN INTERNE (...) »

Première mission de la Fabrique : structurer le concept de qualité de vie au travail et son sens concret chez RTE. La réflexion des membres de la Fabrique, complétée par une enquête menée auprès des salariés aboutit à une définition en 4 « pétales ».

« LE DISPOSITIF N’EST PAS FACILE À FAIRE VIVRE. TOUT D’ABORD, SA LÉGITIMITÉ DOIT ÊTRE CONSTRUITE EN INTERNE (...) »


Depuis mai 2015, la Fabrique se réunit ensuite pendant 3 ans à échéances régulières, avec plus ou moins d’assiduité des membres selon les périodes. Le dispositif n’est pas facile à faire vivre. Tout d’abord, sa légitimité doit être construite en interne et le dispositif soutenu au plus haut niveau.

C’est le cas la première année, le président du directoire François Brottes et le Directeur des Ressources Humaines d’alors, Bertrand Signé, ayant tous deux appuyé la création de la Fabrique. Mais par la suite, certains acteurs changent et l’entreprise connaît des épisodes qui affectent la dynamique du dispositif. Les organisations syndicales se posent régulièrement la question de leur participation au sein de la Fabrique. Pour chacun des acteurs, le positionnement est difficile à tenir tant que la Fabrique n’a pas fourni la preuve de son efficacité. Or, un tel dispositif demande du temps et la construction d’une confiance et d’un vécu commun suffisamment solide pour parvenir à s’ancrer dans la vie de l’entreprise.

Pas simple non plus de proposer la QVT, qui nécessite une vraie évolution managériale, lorsqu'aucune exigence impérieuse (crise technique, financière ou sociale majeure) ne les impose en apparence : RTE est à cet égard atypique dans le panorama des entreprises qui se sont lancées dans ce type de démarche.

AU PLUS PRÈS DU TERRAIN

Malgré les difficultés inhérentes à son originalité et à son fonctionnement, la Fabrique donne du grain à moudre à la réflexion QVT chez RTE. Des initiatives locales sont menées, notamment à Marseille, afin de mettre en place des « espaces de discussion sur le travail » ou encore au Centre National d’Exploitation Système (CNES), autour de l’évolution du système informatique et du réaménagement de la salle de dispatching.

« Le CHSCT du CNES a porté haut et fort cette expérimentation : moi-même en tant que membre du CHSCT et de la Fabrique ainsi qu’un des managers au CNES, Sylvain Rommel, également membre de la Fabrique... » Explique Nicolad Calvier, représentant CGT à la Fabrique.

Ainsi émergent ces initiatives pour mettre en place des espaces particuliers qui ne sont ni la réunion d’équipe, ni le café du matin mais des lieux où l’on exprime sans tabou les écarts entre ce qui est prescrit et ce qui se passe réellement dans le travail quotidien fait d’aléas et d’une constante prise de décision engageant sécurité et santé des personnes, entre ce qui fait ressource et ce qui fait contrainte dans la réalisation des activités. Des lieux où la discussion sert l’amélioration de la qualité du travail, des espaces dans lesquels le dialogue fait émerger des alternatives qui n'existaient pas avant. Les membres de la Fabrique ont décidé de les appeler « Entre Pros » et des formations à l’animation de ces espaces seront réalisées en 2019.

S’ils ne sont pas toujours évidents à mettre en œuvre, ces groupes de travail locaux animés par des intervenants mandatés par l'ANACT se révèlent efficaces et essentiels afin de donner un ancrage de terrain à la Fabrique et de proposer des méthodes pour parler du travail.

C’est un de ses points forts sur lequel les instances habituelles peuvent buter et que les organisations syndicales ont fortement souhaité pour la Fabrique

« DES INITIATIVES LOCALES SONT MENÉES, NOTAMMENT À MARSEILLE, AFIN DE METTRE EN PLACE LES ESPACES DE DISCUSSION SUR LE TRAVAIL. »

ÉCLAIRER LES PROJETS IMMOBILIERS DU GROUPE

Alors que RTE connaît de forts enjeux immobiliers depuis plusieurs années, la Fabrique contribue également à nourrir la réflexion sur les projets de déménagements du Groupe. Le projet « Window » visant à regrouper les quatre implantations parisiennes de RTE au sein d’un siège unique et la transformation du centre de formation de Jonage sont des cas emblématiques.

Sur ces projets majeurs — et même si l’accompagnement de « Window » ne se réalise pas à cause d’un timing trop contraint et d’une vision restrictive de la QVT — , de nombreuses questions se posent quant à l’évolution des modes de travail.

La Fabrique affirme ainsi son rôle de « boussole QVT » en contribuant à centrer la discussion sur le travail, son organisation et ses conditions pour les salariés, afin que ces changements ne soient pas appréhendés uniquement comme de nouvelles implantations physiques.

« LA FABRIQUE AFFIRME AINSI SON RÔLE DE "BOUSSOLE QVT" EN CONTRIBUANT À CENTRER LA DISCUSSION SUR LE TRAVAIL, SON ORGANISATION ET SES CONDITIONS POUR LES SALARIÉS, (...) »

UNE FENÊTRE OUVERTE SUR L'EXTÉRIEUR

L’expérience de la Fabrique montre également l’importance de l’ouverture et du partage d’expérience. Bien qu’interne à RTE, la Fabrique fait appel à des experts extérieurs afin de nourrir sa réflexion. Le psychologue du travail Yves Clot, l’économiste spécialiste des mutations du travail Christian du Tertre, viennent ainsi partager leurs travaux à la Fabrique.

EDF, SNCF, la FNCA ou Renault viennent rencontrer la Fabrique pour témoigner de leurs propres expériences de qualité de vie au travail. Autant d’apports externes qui permettent à l’observatoire de garder son cap et d’illustrer tout en les éclairant les 4 « pétales » de la QVT.


« FAIRE DE LA QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL LE FIL CONDUCTEUR DE LA TRANSFORMATION DE L’ENTREPRISE NON PLUS »

PAS SI SIMPLE DE PARLER DU TRAVAIL

Mettre le management, les organisations syndicales et les experts en prévention autour de la table pour aborder les questions sensibles de sécurité n’est pas une mince affaire. Faire de la qualité de vie au travail le fil conducteur de la transformation de l’entreprise non plus, même lorsque les acteurs impliqués sont volontaires, comme dans le cas de la Fabrique et même lorsque l’on est mandaté sur le terrain pour porter et déployer le sujet. Mais la conviction que la direction prise est la bonne est très forte pour les membres de la Fabrique. « Hors de question de ne pas y être ! » souligne Tamara Boge, correspondante QVT. Même si le soutien du plus haut niveau de l’entreprise, la légitimité des membres, le statut et le positionnement de la Fabrique sont constamment à réaffirmer. De fait, l’arrivée à la Fabrique de Martine Bernard, directrice du pôle CARE en septembre 2018 apporte un nouveau souffle venu de la direction générale : “Je suis convaincue que les « Entre-Pros » permettront à chacun de s’exprimer sur le travail réel , ses succès et ses difficultés, de partager les bonne pratiques et de proposer des solutions innovantes“

LE TEMPS DU PARTAGE

Après le temps de la réflexion et de l’expérimentation, vient le temps du partage. Au bout de 3 ans d’existence, les travaux et les enseignements de la Fabrique, longtemps restés dans le cercle de ses membres, doivent irriguer toute l’entreprise. La communication a commencé à se déployer celle de la pédagogie et du transfert de méthodes. « Il y a déjà tellement de communication dans l’entreprise qu’il faut être dans le concret et dans une démarche de « marketing » pour communiquer sur la Fabrique. Or, ce n’est pas tout à fait appropriée aux modes de réflexion et de fonctionnement de la Fabrique. Cela a été une vraie difficulté » analyse Carine Vidal, chargée de communication du département SSQVT

CHANTIERS D'AVENIR

Si depuis ses débuts, la Fabrique veille à aborder les questions de culture managériale dans ses réflexions, embarquer les managers dans la démarche s’est avéré complexe au regard de leur grande diversité d’expériences et d’une culture managériale ancienne bien ancrée. Contribuer à faire avancer RTE vers un management plus proche du travail reste un chantier d’avenir pour la Fabrique, qui nécessite un soutien au plus haut niveau du Groupe. Formations, visites de terrain, immersions… de nombreux leviers sont à imaginer et de nouveaux managers qui ont rejoint la Fabrique s’en emparent, tel Hervé Philibert « Mon regard a changé en tant que manager sur la QVT et sur la Fabrique. Il faut que l’on puisse parler du travail » .

Du point de vue de l’Anact, la question de l’égalité femmes-hommes pourrait être un chantier à aborder pour l’avenir. Dans ces métiers où les femmes sont encore peu présentes, la diversification des profils recrutés, le travail en amont sur la promotion des métiers auprès des jeunes filles et l’accompagnement de carrière des femmes sont autant de sujets à creuser. Enfin, tous les enjeux liés à la numérisation de l’entreprise et des installations l’accompagnant est aussi devant.

« LA QUESTION DE L’ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES POURRAIT ÊTRE UN CHANTIER »

  CHAPITRE 3 PERSPECTIVES

ET DEMAIN, QUELLE QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL ?

Si elle a traversé des hauts et des bas, la Fabrique est toujours présente plus de trois ans après sa création et un peu mieux connue à RTE. Un virage peut avoir lieu avec le renouvellement des acteurs et la réorganisation de la prévention santé et sécurité. Les nouveaux profils au sein de la Fabrique s’approprient le chemin parcouru, les « renoncements » comme les succès. Force est de constater que dynamiser et rendre efficace un tel espace est un pari fort. RTE n’est cependant pas parti de zéro : « Très vite, les acteurs de RTE ont été capables de se dire ce sur quoi on travaille, de quoi on parle quand on parle de qualité de vie au travail. Et chez eux, c’est très clair, la QVT, ce n’est pas les à côté de la vie au travail… » explique Frédéric Dumalin, responsable au sein du réseau ANACT-ARACT et pilote de l’accompagnement

Lorsque les lignes commencent à bouger, que la convergence entre tous se réalise, que les acteurs de l’entreprise entrevoient les opportunités d’un dispositif centré sur la qualité de vie au travail et la discussion sur le travail, le chemin se trace petit à petit… Le temps est nécessaire et un allié précieux pour y parvenir. L’animation des espaces « Entre Pros » seront la prochaine étape expérimentale fondatrice pour RTE et la Fabrique.

RETROUVEZ LES POINTS DE VUE
DES PROFESSIONNELS


Ce site est une publication de l’ANACT, Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail. Copyright avril 2019.
Conception graphique et éditoriale : Agence Hippie
Animation et développement web : Avant-Goût Studios
Pilotage projet, conception et rédaction : Béatrice Sarazin, ANACT
Co-conception : Mélanie Burlet, ANACT
Réalisation et montage des vidéos : Alix Tarrare, ANACT
Photos : RTE et Adobe Stock