Protection de l’enfance : remettre le travail au centre des discussions
L’Anact et la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) ont mené pendant deux ans une expérimentation auprès de près de 300 établissements de la protection de l’enfance. Objectif : aider les structures à agir sur la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) pour renforcer l’attractivité et la fidélisation. Entretien avec Philippe Goulois, pilote national du projet.
Actualités - Publié le 28 octobre 2025 - Modifié le 03 novembre 2025
Quels enjeux autour des questions d'attractivité et de conditions de travail dans le secteur de la protection de l'enfance ?
Les professionnels de la protection de l'enfance vivent une période particulièrement complexe : manque de moyens, pénurie de compétences, évolution rapide de la règlementation alors même que les demandes de prise en charge d'enfants augmentent. C'est dans ce contexte que, entre 2023 et 2025, l’Anact a accompagné plus de 300 établissements pour améliorer la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) en s’attaquant précisément aux sujets qui se situent au carrefour entre conditions d’emploi et conditions de travail : statuts et rémunérations, amplitude horaire, équilibres de vie d’un côté ; organisation de l’activité, régulations, coopération et management de l’autre. C’est bien à cette jonction que se joue l’attractivité durable des métiers et la qualité du service rendu.
La majorité des établissements se sont tournés vers ce dispositif avec des problématiques de difficultés de recrutement, de turnover élevé ou des enjeux de fidélisation. Or l’attractivité ne se décrète pas, elle se construit au quotidien dans la façon dont les postes sont conçus, dont les plannings sont tenus et dont le travail réel est soutenu et régulé. Sur le terrain, nous avons rencontré des équipes qui tiennent leur rôle en faisant face à une charge administrative élevée (écrits judiciaires, reportings), des sous-effectifs, la complexité croissante des situations (troubles psy, conduites addictives, parcours hachés), et des dispositifs saturés. Quand les repères se brouillent (rôles, priorités, circuits de décision) et que les tensions ne sont pas régulées, le métier perd de son sens et du "pouvoir d’agir". Travailler la QVCT, c’est remettre de la lisibilité et du soutien à ce point de jonction entre l'emploi et le travail, pour permettre aux professionnels de faire du "bon travail" et aux enfants bénéficiaires d'être accueillis dans les meilleures conditions possibles.
Qu’est-ce qui remonte des établissements ? Quels problèmes concrets au travail ?
D’abord, la pression du temps : l’« urgence » éducative emporte tout et mange les espaces de discussion. Ensuite, la pénurie de candidats rendent les équipes instables ; on jongle avec les intérims, on bricole des plannings, on accueille des salariés peu acculturés au travail éducatif. Beaucoup nous ont dit : « On parle des jeunes, rarement du travail ». D’où l’intérêt des espaces de discussion sur le travail (EDT) pour nommer ce qui soutient ou freine le travail bien fait au service des jeunes : règles de réunion, circuit de décision, gestion des évènements indésirables, accueil des nouveaux, transparence sur les arbitrages…
Quels leviers se sont révélés efficaces pour l’attractivité et la fidélisation dans ce secteur ?
Trois leviers émergent des accompagnements effectués. Les structures accompagné ont vu tout l'intérêt de restaurer d'abord un cadre de coopération. On remet à plat les règles du jeu — rôles, instances, représentants de proximité. Très vite, nous avons observé des réunions d’équipe mieux tenues, des circuits de décision clarifiés et un suivi régulier des actions. Les plans d’action deviennent alors tenables et les arbitrages plus rapides.
Deuxième levier : l'importance de parler du travail tel qu’il est réellement vécu. Dans les espaces de discussion sur le travail que nous avons soutenus au sein des structures, les équipes ont pu traiter des sujets concrets qui les concernent comme la surcharge de planning, l’articulation jour/nuit, le partage d’information entre sites ou la gestion de la violence. Quand il est possible de reconnaître le travail réel, la parole se libère et chacun s’engage sur la suite, en avançant simplement : problème, causes, essais, bilan.
Dernier levier : faire de la QVCT un projet commun. Cela change la dynamique ! La QVCT n’est pas l’affaire des seuls RH : direction, manageurs, représentants du personnel et équipes doivent s’engager ensemble. Les structures peuvent avancer dans une dynamique constructive par un diagnostic partagé, des expérimentations courtes, puis un bilan et une décision claire — poursuivre, arrêter ou généraliser. Quand les solutions sont partagées et intégrées au fonctionnement courant, elles tiennent dans la durée.
Des acteurs du territoire ont été associés à ce projet. Avec quels effets ?
L’attractivité ne se joue pas qu’en interne : à l’échelle d’un département ou d’un réseau — Observatoires de la protection de l’enfance, Département, OPCO, Uriopss, CNFPT, France Travail… — la coordination et la mutualisation rendent les avancées visibles et robustes. On partage des pratiques, des indicateurs, on crée des viviers, on coordonne des formations, et les recrutements tiennent davantage dans le temps, à douze ou vingt-quatre mois.
Soyons clair : les contraintes de ces métiers sont fortes et la QVCT n'est pas une formule magique. Il n’est pas possible de « tout » résoudre. Mais ce projet montre qu'il existe des voies pour reprendre la main sur ce qui peut l’être et redonner du sens aux missions. En s'inscrivant nos démarches dans les dynamiques locales existantes, nous avons pu mettre les acteurs en dynamique et soutenir les initiatives.
Le projet en bref
- 300 établissements accompagnés par l'Anact et ses agences régionales
- 24 mois d'expérimentation QVCT auprès d’établissements de la protection de l’enfance
- 3 dispositifs combinés :
o Areso : un dispositif pour restaurer le dialogue social et professionnel.
o Acia : une modalité d'appui inter-établissements avec 6 collectifs constitués (26 établissements).
o Pas-à-pas : un parcours sur-mesure s'appuyant sur un autodiagnostic + soutenu par une dynamique territoriale.
Ce programme a été financé par la Direction générale de la cohésion sociale.