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"Les inégalités femmes-hommes sont aujourd’hui enracinées dans notre organisation du travail"

Groupe de femmes et d'hommes qui font un puzzle commun

En mars dernier, les entreprises de plus de 50 salariés ont dû publier leur Index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il s’agit d’une première étape pour évoluer vers une situation plus égalitaire au travail. Et si nous allions plus loin ? Des signaux moins visibles révèlent que beaucoup de progrès restent encore à faire… Quelles pistes d’amélioration alors emprunter ?

Entretien avec Florence Chappert, responsable de département, spécialiste des Conditions de travail des femmes et des hommes à l’Anact.

Quand une entreprise obtient une « bonne note » à l’Index Égalité, concernant les écarts de rémunération, d’augmentation et de promotion entre les femmes et les hommes, est-ce le signe d’une situation égalitaire au travail ?

Quand une entreprise présente une bon score pour son Index Égalité, elle applique la loi mais cela ne suffit pas pour affirmer que l’environnement de travail permet une égalité au travail. Beaucoup d’entreprises ont de bons indicateurs égalité mais des indicateurs de santé nettement moins bons pour les femmes que pour les hommes.

S’il l’on regarde les statistiques nationales, il y a 30% à 40% d’absentéisme en plus pour les femmes que pour les hommes (lire l’article « La Dares souligne le rôle important des conditions de travail dans les absences au travail »), sachant que seule une part de cet écart concerne les arrêts maladie qui précèdent le congé maternité et qu’avoir des enfants en bas âge n’est pas corrélé à plus d’absences. Les accidents de travail sont de plus en plus nombreux pour les femmes depuis 15 ans alors qu’ils diminuent pour les hommes (lire l'article "15 ans d'évolution de la sinistralité au travail en France : les inégalités entre les hommes et les femmes persistent"). Les troubles musculo-squelettiques sont aussi deux fois plus fréquents pour les femmes dans leurs emplois. Elles sont, par ailleurs, plus exposées aux risques psychosociaux et au stress – et bien sûr au sexisme ordinaire et aux violences sexuelles.

Quelles difficultés persistent pour agir sur ces situations d’inégalité ?

Les inégalités au travail sont de moins en moins la conséquence de discriminations directes. On recrute de moins en moins à des salaires différents selon le sexe, les augmentations liées au congé maternité sont désormais le plus souvent compensées, comme le prévoit la loi.

Les inégalités sont aujourd’hui davantage structurelles, enracinées dans nos systèmes d’organisation et de gestion qui empêchent des femmes ou des hommes d’accéder à certains métiers ou parcours, ou encore de bénéficier de bonnes conditions de travail ou de conciliation des temps, etc. Certaines conditions de travail restent ainsi trop peu « inclusives », comme des horaires atypiques, des postes de travail pénibles physiquement, ou encore  des modalités de choix de congés basés sur l’ancienneté qui pénalisent les femmes, les parents ou les plus jeunes.

Ces inégalités se repèrent à travers certains signaux faibles de l’organisation : la part des femmes dans le top management ou dans la représentation syndicale, leur moindre prise de parole en réunions, ou l’absence de femmes ou d’hommes dans certains métiers ou secteurs de l’entreprise, etc.

Que voudrait dire mettre en place une réelle égalité hommes-femmes au travail ?

L’égalité aujourd’hui, c’est l’égalité dans la différence, avec la prise en compte des situations de travail et de vie différentes des femmes et des hommes. Cela rejoint la notion d’équité. Concrètement, l’enjeu ne se situe pas seulement dans le fait de proposer le même traitement pour tous, ou à l’opposé un traitement différencié pour certains ou certaines, il s’agit davantage de sortir du cadre de la gestion des ressources humaines et de développer des environnements de travail plus ouverts et plus souples. Cela se traduirait par exemple par des organisations qui limitent le port de charges pour tous, adaptent le matériel à la diversité des tailles, proposent encore plus de souplesse dans les horaires, un accès réversible au télétravail, ou sont exigeantes en matière de droit à la déconnexion et de limitation du présentéisme etc. Ce que commencent à faire certaines entreprises.

Le chantier ne semble pas si simple dans les faits. Par quoi commencer pour améliorer la situation ?

Ce sont les conditions de travail  - notamment pour les postes à prédominance féminine - qu’il faut soigner car il est plus facile d’agir sur ce levier d’action à la portée de l’entreprise, que sur les mentalités et les stéréotypes de sexe. Et cela bénéficiera aussi aux hommes.

Prévenir les inégalités, ce n’est plus une affaire individuelle de femmes isolées qui auraient à compter sur leurs forces pour progresser, c’est une affaire collective qui embarque toute l’entreprise, hommes et femmes, parfois tout un territoire. Cela concerne aussi les clients et les clientes, les sous-traitants, les fournisseurs…

La crise que nous traversons fait-elle bouger les choses ?

Cette crise accélère les changements dans le cadre de la transition numérique, écologique, et démocratique.... C’est l’occasion d’être vigilant sur le fait que tout projet, et par exemple aujourd’hui le travail à distance, doit être anticipé au niveau de ses impacts sur les femmes et les hommes car si l’on n’y prête pas attention, ces changements peuvent renforcer les inégalités. Cet enjeu d’égalité, c’est au niveau de la stratégie de l’entreprise qu’il doit être pris en compte !

A lire aussi : "Index égalité professionnelle : 3 questions sur les mesures correctives"

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