Les espaces de discussion au cœur de la politique de prévention des risques psychosociaux

Réalisations et projets - Publié le 22 septembre 2014 - Modifié le 23 janvier 2024

Dans cette entreprise au carnet de commande pourtant très diversifié et bien garni, l’ensemble des acteurs craint pourtant des pics de charge de travail suivis de périodes de sous-activité susceptibles de fragiliser la pérennité même de la structure. Et lorsqu’en plus s’ajoute à ce climat un déficit de dialogue social qui impacte la qualité de la production, on comprend l’urgence pour la direction de s’adjoindre l’expertise et les compétences d’un tiers intervenant pour aider à identifier les points de crispation et construire un plan d’action rapidement opérationnel. Car les tensions sont là, qui interrogent le mode de management, et qui sont exprimées par les individus et les collectifs.

Qui?

L’entreprise a aujourd’hui une vingtaine d’années. Elle a été reprise en 2010, voici 3 ans, par son dirigeant actuel. Celui-ci s’est associé les compétences d’une co-gérante qui a davantage en charge la dimension Ressources Humaines mais qui n’est présente qu’une à deux journées sur le site.

Spécialisée dans la sérigraphie, l'entreprise a longtemps fonctionné sur un même modèle et connaît depuis son rachat de nombreux changements. Si une évolution majeure réside dans le mode de management, c'est principalement la mise en conformité des bâtiments, l'achat de nouvelles machines, la mise en place de procédures et de nouveaux process qui viennent réellement bousculer ce qui préexistait. Ainsi donc, certains salariés ont connu des évolutions professionnelles, et la ligne hiérarchique a été remaniée.

Quel était le problème à régler ?

Avec 16 salariés expérimentés répartis dans des activités diversifiées, l'entreprise, peu concurrencée dans le département, privilégie la production de petites séries. Elle n'a pas de représentation du personnel. L’Aract Haute-Normandie est contactée en janvier, via la CCI, par la gérante adjointe. en pleine finalisation du Document Unique d’évaluation des risques professionnels, elle s’interroge sur la manière de traduire utilement la problématique des risques psychosociaux. Un court questionnaire vient d’être transmis aux salariés à ce propos.

Les acteurs de l’entreprise espèrent d’un regard extérieur qu’il les aide à identifier des leviers sur lesquels agir pour améliorer concrètement les problèmes de communication.

Qu’ont-ils fait ?

Les contraintes temporelles liées à la taille de l’entreprise et à son activité invitent alors les intervenants de l’Aract à envisager une démarche concrète, peu chronophage et rapidement opérationnelle tout en favorisant l’apprentissage par les acteurs de nouvelles modalités d’échange sur leur travail et de résolution de problèmes.



L'Aract propose d'animer deux groupes de travail : le premier réunissant un collectif de salariés volontaires et représentatifs des différents métiers de l'entreprise (l'ancienneté et le sexe font également partie des critères), le second comptant l'ensemble des personnels positionnés sur l'organigramme comme encadrants. Ces groupes sont constitués par un collectif paritaire qui formule également des règles de fonctionnement pour les temps collectifs qui jalonnent la démarche. Ces deux groupes produisent un état des lieux de ce qui fonctionne et dysfonctionne dans l'entreprise ainsi que des propositions d'amélioration. Un document est élaboré qui répertorie les éléments faisant consensus dans le groupe. Un référent est en même temps identifié dans chaque groupe vers lequel les participants sont invités à formuler des remarques puis à amender le livrable final.



Une réunion entre la direction et le groupe d'encadrants est ensuite animée afin que ces derniers présentent leur travail et que la direction entende leur point de vue et leurs propositions : le support collectif est lu à voix haute par les salariés. Dans un second temps, une réunion est organisée avec ces mêmes acteurs qui entendent la réflexion du groupe salariés, peuvent réagir et questionner des éléments nécessitant des éclaircissements. Les règles de fonctionnement sont respectées et favorisent une écoute nouvelle. Enfin, un temps collectif permet à la direction de formuler les grandes orientations du plan d'action qu'elle suggère sur la base des propositions énoncées. Ces orientations sont enrichies et discutées pour convenir d'un plan d'actions consensuel.



Durant ce processus, différents apprentissages ont été favorisés et certains objectifs atteints:

• Les salariés ont bénéficié d'un espace ressenti comme sécurisé et cadré, et ils ont pu confronter et échanger sur leurs points de vue parfois contraires, prendre du recul sur leurs conditions de travail et découvrir la réalité de pairs; ils ont été force de propositions simples et opérationnelles. Les collectifs salariés et encadrants se sont renforcés ou initiés (notamment entre la direction et les encadrants).

• La direction a entendu le ressenti, compris l'origine des inquiétudes, noté les attentes des salariés; elle a requestionné la lecture qu'elle faisait des freins à la performance de son entreprise, aux changements attendus. Elle a parallèlement investi ces espaces pour apporter des éléments de compréhension aux salariés sur ce qui expliquait ou motivait certains changements ou certaines pratiques managériales. Par exemple, elle a pu expliquer à des salariés pour lesquels l'activité en flux tendu était le témoin de la bonne santé de l'entreprise que des productions précédemment vendues à perte étaient désormais stoppées et que cela ne compromettait pas la pérennité des postes. Des illustrations pratiques ont permis de donner du sens à des tâches de reporting non comprises.

• L'encadrement a pu exprimer et trouver des solutions à des problématiques de compétences qu'il ne détenait pas, à des difficultés de légitimité vis-à-vis de collègues et de régulation avec le dirigeant. La richesse liée à la consultation des salariés a été éprouvée par la direction. C'est toute la dimension stratégique, managériale et organisationnelle qui a été au cœur des échanges.

 

Pour quels effets ?

Cette petite entreprise est soumise à de fortes et rapides contraintes liées aux marchés, aux clients, aux normes de sécurité et de production. Cette temporalité percute sérieusement celle que l'entreprise connaît depuis 20 ans. Cette accélération a distancié les liens, la communication, les préoccupations, les enjeux des salariés et du dirigeant… une situation qui a poussé chaque acteur à évoluer dans une réalité très distincte. Le taux de "non conformité" et les tentions relationnelles palpables ont été des indicateurs d'alerte forts qui ont permis d'initier ce travail. Le processus qui a été engagé a favorisé le rapprochement, la rencontre de la direction et de ses salariés qui aujourd'hui partagent des enjeux et objectifs communs. Ils possèdent maintenant des outils simples favorisant la concertation, la collaboration au service de la qualité du travail et de la performance de l'entreprise : les modalités d'animation des espaces de discussion "sécurisés" sur le travail aboutissant à des actions d'amélioration consensuelles et comprises.