Objectifs
- Qualifier paritairement les enjeux d’Egalité Professionnelle et de...
Publié le 06/12/2017
Publié le 06/12/2017
Le centre hospitalier de Dieppe se situe dans une petite ville de 30 000 habitants sur un territoire paupérisé où le chômage est important. Il fait travailler un peu plus de 1 600 salariés. Il dispose de près de 1 000 lits en médecine, chirurgie, obstétrique, moyen séjour, long séjour, hébergement et SSIAD. Le contexte économique est compliqué et l’établissement doit réduire ses coûts.
L’établissement est souvent décrit comme « familial » en raison de la grande stabilité des équipes. Cette stabilité est vécue parfois comme un frein au changement. En revanche, elle ne concerne ni la direction ni les cadres de santé. Les conditions de travail sont pour autant relativement semblables à celles des autres établissements du point de vue des salariés qui y travaillent, malgré un sentiment de perte de la dimension collective, de la solidarité entre professionnels et d’autonomie dans l’organisation du travail.
L’établissement rencontrait un problème d’attractivité, notamment auprès des médecins, et souffrait d’une mauvaise image à l’extérieur. Par ailleurs, sur incitation de l’Agence régionale de santé (ARS), il s’était inscrit dans un développement de son activité ambulatoire.
Aussi, la motivation de l’établissement était triple :
Il voyait aussi dans cette démarche une chance de réfléchir à son organisation, à la qualité des soins qu’il dispense et à la qualité de vie au travail, sachant qu’il a été choisi pour devenir l’établissement support du groupement hospitaliers de territoire (GHT).
Pour construire sa démarche, l'établissement a intégré l'un des clusters qualité de vie au travail mis en place par la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS), la HAS et l’Anact. L'animation du cluster a été réalisée par l'Agence régionale de santé (ARS) et l'Aract Normandie.
Le trinôme qui a participé aux temps collectifs du cluster et a été en charge du pilotage de la démarche a été constitué au départ de la directrice des soins, de la directrice des ressources humaines et du représentant du CHSCT. Par la suite, sa composition a variée selon les moments. Il a été complété ou remplacé par deux cadres de santé, un cadre administratif de pôle et une chirurgienne.
Le service de chirurgie ambulatoire a été choisi pour porter l’expérimentation sur l’organisation de l’activité. Un groupe de travail a été mis en place au sein de ce service auquel ont participé les infirmières et aides-soignantes du service ambulatoire, un brancardier, une chirurgienne du bloc opératoire et la cadre de santé. Le groupe de travail, piloté par la cadre de santé, s’est alors emparé de l’outil safari photo, proposé parmi d’autres outils par l’Aract. La démarche a été animée par une chargée de mission de l’Aract Normandie.
Le reportage photo est une méthode qui consiste à ce que chacun des participants du groupe de travail réalise deux photos au moins : une photo d’une situation de travail à ne pas changer, voire à reproduire dans d’autres services, et une autre qui illustre un dysfonctionnement, un problème rencontré dans l’activité de travail. Ces photos servent de support aux échanges dans l’équipe.
Cette méthode, simple à mettre en place, se concentre sur le travail et permet aussi un focus sur ce qui est positif. Elle favorise la confrontation des points de vue sur une même situation et permet d’imaginer des solutions ensemble.
Le choix de garder deux photos positives sur des points d’organisation ou de matériel à ne pas toucher, voire à reproduire dans d’autres services, et le choix de deux photos négatives pour permettre une réflexion commune ont été faits par le groupe pluridisciplinaire d’analyse des photos.
Le groupe de travail a réalisé les photos et croisé les regards sur ces situations de travail. Suite à cela, l’analyse des photos a été complétée par les représentants de chaque service (ambulatoire, brancardage et bloc opératoire), qui l’ont fait valider successivement par les équipes des services concernés, les services RH, la direction des soins et enfin par le CHSCT.
À l’issue des travaux, le groupe de travail a proposé un plan d’action pour améliorer la qualité du service qui comporte :
Le positionnement et le portage du service ressources humaines ont constitué un facteur de réussite de l’expérience. Ce dernier est perçu comme proactif selon l’Agence régionale de santé (ARS), prêt à porter une démarche qualité de vie au travail.
Il y a une vraie dynamique avec une directrice des ressources humaines qui ne fait pas que de la gestion, qui fait de la prospection, qui s’investit sur la gestion des risques professionnels, au-delà du seul remplissage du document unique, et s’intéresse à la qualité de vie au travail. De manière plus générale, le centre hospitalier a depuis longtemps l’habitude de faire travailler les équipes en groupes de travail thématiques : sur le parcours du patient, l’optimisation de l’accueil, la prévention des risques professionnels...
Les personnes interrogées témoignent d’effets positifs à ce stade sur l’organisation du travail et les relations entre professionnels. Il s’agit d’un ressenti puisqu’il n’y a pas eu d’évaluation formelle de la démarche, aucun indicateur n’ayant été mis en place en amont. Quant aux effets sur la qualité des soins, ils ne sont pas encore identifiables du fait de la jeunesse de la démarche et de l’absence d’indicateurs.
La démarche a eu des effets concrets :
Même si l’outil reportage photo ne permet pas de saisir les relations professionnelles, notamment conflictuelles, le travail réalisé dans le cadre de cet outil a rendu possible l’écoute de l’autre et le fait d’être soi-même écouté, de prendre le temps de s’asseoir autour d’une table pour cela. Les acteurs qui évoquaient le cloisonnement entre services ont apprécié de prendre le temps de partager et de saisir les difficultés de l’autre et pas uniquement les siennes. En cela, la démarche a amélioré les relations dans l’équipe.
La construction d’une représentation opérationnelle de la qualité de vie au travail
Au départ, la réalisation d’une cartographie des projets en cours d’étude dans l’établissement a mis en évidence l’existence d’un projet sur la qualité de vie au travail. Il était traité distinctement des autres projets, et selon une autre méthodologie.
Pour la grande majorité des personnes concernées par la démarche, le terme de qualité de vie au travail était « flou » au départ. Il semblait même au cœur d’un paradoxe : les professionnels le percevaient comme une opportunité de parler de ce qui allait mal alors que l’injonction était faite par ailleurs de redorer l’image de l’hôpital, de s’inscrire dans une visée positive. Même si des interactions entre qualité des soins et qualité de vie au travail semblent évidentes, les professionnels ont eu le sentiment que l’intérêt du patient allait passer avant leurs propres conditions de travail.
De ce point de vue, le projet a permis une appropriation plus dynamique de ce que recouvre la notion de qualité de vie au travail.
La nécessité d’un portage politique constant du projet
L’articulation entre les personnes présentes au niveau des séances collectives interétablissements avec les personnels engagés dans l’expérimentation, leur légitimité et leur pouvoir décisionnel réduit ont produit des difficultés dans le déploiement de l’expérimentation. Dans les faits, il n’y a pas eu de communication entre les équipes qui participaient aux temps collectifs et la mise en place du groupe de travail en interne.
Par ailleurs, au cours du projet, un certain nombre d’acteurs ont quitté l’établissement et ont été remplacés : le directeur, deux cadres, le secrétaire du CHSCT. Dans une perspective de projet qui se construit dans le temps, le changement d’acteur est un obstacle à sa poursuite et à sa pérennisation. Ceux qui l’ont porté, qui se sont engagés sur des motivations, ne sont plus là, fragilisant le portage de la démarche et inévitablement se pose la question de la continuité de la démarche lorsqu’elle est portée par des responsables ou des représentants d’instances qui n’auraient pas engagé réellement avec eux leur propre collectif de travail (par exemple le directoire, le CHSCT, la CME ou encore le service, etc.).
Cela explique probablement aujourd’hui que le plan d’action n’ait toujours pas été validé, suscitant de la frustration chez les acteurs de terrain. Or certaines actions nécessitent un accord de la direction des achats ou d’affectation définitive à un poste pour l’agent d’accueil. Aussi ces actions restent-elles fragiles ou inexistantes.
La nécessité d’impliquer collectivement les professionnels directement concernés
Le groupe de travail mis en place a très bien fonctionné et les professionnels se sont fortement mobilisés. Cependant, la question de l’articulation avec les autres professionnels du service a été moins structurée. Ainsi la présence d’un brancardier au groupe de travail n’a pas suffit à ce que les discussions autour des modalités d’appel des brancardiers et la proposition de nouvelle organisation emportent l’adhésion de l’ensemble des brancardiers et que celle-ci se mette en place.
Cette proposition d’action vient directement impacter le travail des brancardiers sans que ceux-ci aient été collectivement impliqués dans la recherche de solution.
La nécessité de renforcer les compétences et les moyens dans la conduite de projet
Le projet a pâti d’un pilotage sur le terrain insuffisant, lié à plusieurs facteurs :
En effet, les projets gagnent en robustesse lorsque des temps, même courts, sont pensés et dédiés pour le pilotage global et pour l’action et lorsque des comptes rendus sont réalisés afin d’ancrer les décisions et de ne pas revenir sur ce qui a été acté.
Une expérience intéressante qui montre bien que la qualité de vie au travail peut être un élément moteur favorisant l’implication des professionnels mais qu’il est nécessaire d’y associer l’engagement de la direction et de l’encadrement de façon permanente. Les difficultés rencontrées sont autant de révélateurs des « ingrédients » de la QVT.