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"La construction d'un accord QVT est au moins aussi importante que l'accord lui-même" - Pierre-Yves Verkindt

La construction d'un accord QVT est au moins aussi importante que l'accord lui-même

Pour son 4ème numéro de La Revue des conditions de travail, l'Anact est allé à la rencontre de Pierre-Yves Verkindt. Ce dernier est convaincu que l’ANI QVT 2013 pourra faire évoluer le droit du travail et fera sans doute référence. Il place par ailleurs le CHSCT en acteur incontournable de la QVT et nous explique pourquoi et comment.

Pierre-Yves Verkindt est professeur des universités à la Sorbonne (Paris I). Juriste de formation et avocat durant sept ans au barreau de Lille, il soutient en 1988 une thèse et obtient l’agrégation de droit privé et de sciences criminelles. Il devient alors professeur à l’université de Lille 2. Il y rencontre, à la faculté de médecine, l’équipe de Paul Frimat et de Daniel Furon, professeurs de médecine du travail. Ensemble, ils créent le CERESTE (Centre de recherche en Santé-Travail-Ergonomie puis Centre de recherche en Santé-Travail-Environnement), premier du genre avec une équipe pluridisciplinaire se consacrant aux enjeux de prévention des risques professionnels et des rapports entre la santé et le travail. Ils développent ensuite, au sein du DEA de droit social, une filière en droit de la santé au travail, ouverte chaque année à un étudiant en médecine. Il poursuit depuis lors ses recherches dans le champ du droit de la santé des travailleurs et dans celui des conditions de travail.

Selon lui, l’accord du 19 juin 2013 est prometteur même s’il apparaît en première analyse peu contraignant et de faible normativité. En fait, cet accord vient de loin, il s’inscrit dans un mouvement d’enrichissement continu de la notion de conditions de travail porté par différents accords déjà conclus et par des textes législatifs ou règlementaires (de droit interne et de droit européen). Pierre-Yves Verkindt est convaincu que l’ANI QVT 2013 pourra faire évoluer le droit du travail et fera sans doute référence, un jour ou l’autre car il estime que le juge pourra s’en emparer. Par ailleurs, grand défenseur du CHSCT, le juriste montre en quoi ce dernier doit et peut être un acteur incontournable de la QVT, en liaison avec les espaces de discussion sur le travail que l’ANI entend favoriser.

La QVT n’est pas un objet juridique clairement identifié mais un concept parfois considéré comme ambivalent : qu’en pense le juriste que vous êtes ?

Il est clair que la notion de QVT n’est pas d’abord une notion juridique. Pour autant, même si le droit ne la nomme pas, il n’y est pas indifférent. Il en fut de même tout un temps avec la notion de conditions de travail. Avant que les partenaires sociaux puis le juge ne s’en emparent, les textes juridiques ne l’utilisaient que sur un plan très technicien. Les juristes ne s’y intéressaient guère et les exploraient encore moins ! Je me souviens qu’au début de mon enseignement, le livre II du code du travail comportait deux volets : un volet « temps de travail et durée du travail » et un volet « hygiène/sécurité » que les juristes à quelques exceptions près (H. Seillan, 2012, pour ne citer qu’un nom) n’abordaient qu’avec réticence. Quant aux CHSCT, ils n’étaient au mieux évoqués qu’en toute fin des développements consacrés aux comités d’entreprise. Malgré tout, la question n’était pas totalement absente, d’autant qu’à partir de la loi du 6 décembre 1976, même si celle-ci est encore marquée par une approche centrée sur l’accident, une réflexion est amorcée sur la prévention et l’intégration de celle-ci dans la conception des équipements. Les conditions de travail font ainsi progressivement leur entrée (discrète) dans le droit du travail. Un des versants de la QVT était donc déjà présent dans cet horizon.

Mais c'est un texte qui n'est en rien contraignant...

Oui. Je pense cependant qu’il faut tenir compte de ce qu’est le droit et de la façon dont il se transforme. La dynamique du droit se nourrit de textes qui ne sont pas à l’origine très normatifs. Je pense que ces textes, précis d’un point de vue strictement juridique, laissent une certaine place au vocabulaire courant et donc fournissent de grandes opportunités d’interprétation constructive. Le travail des juristes est de qualifier juridiquement des situations de fait pour dégager des régimes et des solutions juridiques, mais ce travail ne peut s’opérer sans démarche d’interprétation (des faits, des règles et des situations). Sur ce dernier point, il s’agit toujours, pour un juriste, au minimum, de faire parler les textes.

C’est ainsi, grâce aux praticiens du droit (avocats, conseils de salariés ou d’entreprises, juristes d’entreprise et juges) que la notion de conditions de travail, qui était enfermée au départ dans une conception très technique, s’est ouverte aux conditions organisationnelles et relationnelles. Elle a, en quelque sorte, été travaillée de l’intérieur, en partie par des juristes. À travers les contentieux, ils lui ont donné une portée différente. Des textes non normatifs comme l’ANI QVT de juin 2013 ne créent certes pas des droits directement invocables et ne peuvent avoir une opérationnalité juridique immédiate, mais ils pourront servir d’appui pour qualifier d’(in)acceptables certaines situations de travail.

Ainsi, dans l’ANI QVT, l’exigence de diagnostic partagé est-elle lourde de sens pour l’avenir, moins parce que ce serait une obligation juridique que parce qu’elle engendre une exigence comportementale, elle- même contenue dans la mise en œuvre effective des droits. Au surplus, l’accord peut être compris comme un guide pour l’action. Les éléments de discussions qu’il va générer alimenteront les pratiques et, le cas échéant, réapparaîtront dans l’argumentaire mobilisé lors d’un contentieux.

Lire la suite de l'entretien ci-dessous :

Article extrait de "La Revue des conditions de travail" N°4.

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