Vous êtes ici

Entre nécessité du changement et préservation des acquis : une intervention à la mesure d’un grand cru

Cas entreprise Mecabourg

A propos

Secteur d'activité
Effectif
S’il présente de réels avantages en termes d’autonomie et d’augmentation de ses revenus, le mode de rémunération des vignerons de ce grand cru a indéniablement des effets sur la santé des salariés : dorsalgies, tendinites du membre supérieur et, au bout du compte, stress lorsque des aléas ou des douleurs ne leur permettent plus d’atteindre les objectifs fixés… Dans ce contexte à double tranchant, tout projet de changement rencontre des résistances de toutes sortes. Dans cette entreprise, cela est bien nécessaire pourtant !<br> Pour arriver à proposer un cadre nouveau pour l’ensemble des acteurs, il a fallu tenir trois déterminants : la nouvelle organisation à mettre en œuvre, l’équilibre financier des salariés, la qualité des relations sociales et des conditions de travail.

Ajouter à ma liste de lecture

Qui ? 

Ce château classé « Grand cru » réalise toutes les étapes de la fabrication du vin : de l'exploitation du vignoble à la vente en passant par la transformation du raisin en vin et l’embouteillage. Il a été racheté à une entreprise familiale par un groupe qui possède plusieurs propriétés viticoles.

Grâce à la volonté de sa direction et à l’implication de tout son personnel, le château s’est engagé dès le début des années 2000 vers une agriculture « raisonnée » respectueuse de l’environnement et des hommes.

Quel était le problème à régler ?  

Dans le cadre de l’accord sur la pénibilité, l’entreprise souhaite être accompagnée dans sa démarche de prévention de l’usure professionnelle (altération physique, cognitive et/ou psychique de la santé) et de la pénibilité (pour un individu, ressenti immédiat ou différé de difficultés à réaliser son travail).

Une démarche de type « conduite de projet », basée sur la passation de questionnaires, d’entretiens et d’observations des situations de travail, permet d’identifier les points de convergence entre pénibilité et usure professionnelle, mais également les écarts entre risque d’atteinte à la santé et ressenti.

Qu’ont-ils fait ?  

Dans le vignoble, certains travaux sont réalisés avec une rémunération à la journée, et d’autres au « prix-fait », c'est-à-dire un paiement à la tâche, au nombre de pieds traités. Ces derniers sont les plus traumatisants pour la santé avec un fort risque de survenue de troubles musculosquelettiques.

En effet, ce mode de rémunération engendre une organisation avec des avantages et des inconvénients - pour l’employeur comme pour les salariés - et impacte l’usure professionnelle tout comme le ressenti du travail donc la pénibilité.
Par exemple, il incite les salariés à réaliser un maximum de pieds dans la journée. Ainsi des vignerons peuvent doubler leurs salaires certains mois. La rémunération liée à la quantité de travail réalisée permet donc à chaque salarié de gérer son rythme de travail en fonction de différents éléments tels que les contraintes financières, l’état de santé, la reconnaissance, etc. Mais elle augmente aussi les sursollicitations biomécaniques et les durées d’exposition, donc l’usure professionnelle (dorsalgies, tendinites du membre supérieur, stress lorsque des aléas ou des douleurs ne permettent plus aux vignerons d’atteindre les objectifs fixés…) ; elle questionne également le lien entre rémunération et capacité physiologique.

Du point de vue de l’employeur, cette organisation facilite l’atteinte des objectifs de production en limitant les temps de gestion d’équipe. Pour autant, elle peut s’accompagner d’une baisse de la qualité du travail (soit parce que les salariés préfèrent réaliser les tâches les mieux rémunérées au détriment des autres pourtant essentielles à la végétation, par exemple la taille plutôt que le palissage, soit parce qu’ils privilégient la quantité), d’une augmentation de l’absentéisme à la fin des périodes de prix-fait, d’une difficulté à réaliser les changements techniques et organisationnels nécessaires à l’évolution de l’entreprise.

Par exemple, l’opération de tirage des bois consiste à enlever du palissage les bois coupés. Ces bois sont maintenus grâce à des liens, généralement en fil de fer. Les salariés remontent des difficultés à réaliser cette opération car les liens sont trop durs. L’entreprise passe beaucoup de temps et d’énergie à chercher des solutions (fil plus fin, fil entouré de papier pour faciliter sa corrosion et le rendre plus fragile en fin de saison…). Or il est prévu de réaliser avant une opération de coupage des liens avec un outil spécifique. La rémunération au prix-fait incite les salariés à augmenter la quantité traitée en recherchant des gains de temps, ce que permet l’arrachage des bois sans coupage préalable des liens. On assiste alors à un déplacement du problème, et aussi à des résistances lors de la mise en œuvre de solutions dès lors qu’elles risquent de réduire le rendement. L’utilisation de sièges d’épamprage pour soulager le dos s’est longtemps heurtée à cette perception de baisse de cadence. Or, s’il est vrai que la cadence instantanée est généralement plus élevée sans siège, ces derniers permettent de conserver un rythme régulier tout au long de la journée et au final de traiter autant voire plus de pieds. Ce constat a permis de développer leur utilisation.

Pour quels effets ?  

Le prix-fait n’est pas seul responsable de l’usure professionnelle. Pour ce qui concerne la dimension biomécanique des troubles musculosquelettiques, il n’est pas à l’origine des mouvements à risque. Mais c’est un facteur aggravant dans leur survenue car il augmente la répétitivité, la durée d’exposition et réduit les temps de récupération nécessaires à la prévention de ces pathologies professionnelles : incitation financière pour « gagner sa journée », stress lié aux pertes de temps (aléas, météo…), durée de travail plus longue avec moins de pauses…

D’autre part, il est bloquant dans la mise en œuvre de solutions techniques et organisationnelles visant à améliorer la performance de l’entreprise et les conditions de travail, les tâches remontées comme les plus pénibles étant également celles réalisées au prix-fait.

La suppression du « prix-fait » apparaît donc comme un passage obligé pour réduire l’usure professionnelle et la pénibilité. Cette évolution suscite de nombreuses interrogations :

• Quelle organisation mettre en œuvre ? Certes il faut éviter de faire un prix-fait déguisé tel que le travail en équipe avec prime au rendement qui peut être plus risqué pour les personnes qui ne suivent pas la cadence imposée par l’équipe…

• Quel équilibre financier ? Embauche de personnel supplémentaire, comment éviter des pertes de rémunération importante pour les salariés les plus rapides…

• Quels impacts en termes de relations sociales ? Importance des compétences et formation des chefs d’équipe, risque de compétition entre équipes, régulation et implication de l’encadrement…

• Et les conditions de travail ? Si la cadence (nombre de pieds à traiter par jour) reste élevée, le risque restera identique. D’un autre côté, pour les vigneron(ne)s, suivre l’évolution de son travail au fil des années (le prix-fait s’accompagne souvent de l’attribution de parcelles au même salarié) est un élément important de la motivation et du sens donné au travail.

close