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Les grands enseignements du colloque "Mieux travailler à l’ère du numérique"

Retours SQVT 2016

En donnant la parole à un juriste, des représentant des salariés, des chefs d'entreprises et des chercheurs, le colloque "Mieux travailler à l'ère du numérique" a permis une richesse de points de vue. Retour sur les grands enseignements de cette journée.

Un colloque, et plus encore des tables rondes, constituent toujours des moments privilégiés d’échange et de controverse. D'autant plus quand la tribune s'ouvre à des intervenants d'horizons divers : juristes, représentant des salariés, entrepreneurs, chercheurs en sciences sociales et humaines. Le colloque Anact "Mieux travailler à l'ère du numérique" qui s'est tenu le 13 juin dernier n’a à ce titre pas manqué son objectif : les tables-rondes ont révelé la diversité des préoccupations sur le sujet et permis de mieux cerner les multiples enjeux de la transformation numérique.

En effet, si le numérique est a priori un sujet technique, force est de constater qu’il est aussi un sujet social tant il nourrit le débat sur sa nature, ses effets, son devenir. Mais le premier enseignement de ce colloque est que les échanges sur le sujet "numérique et travail" ont énormément progressé au cours des trois dernières années. Qu’ils ne se réduisent plus à la querelle des anciens et des modernes.

Pas un numérique, mais des numériques

Les échanges ont montré qu’il n’y avait pas « le » numérique, mais « des » numériques au travail. Et qu'il était possible dans cette diversité d'identifier au moins deux grands types de numériques au travail : celui de l’ordre et celui du désordre.

D’un côté celui de l’automatisation, avec ses enjeux de productivité, ses processus, et ses perspectives de substitution de l'homme par la machine, dans une logique de rationalisation, d’optimisation. L'autre numérique, serait alors celui de la collaboration, de la redistribution des informations et des pouvoirs, de l’innovation comme facteur de compétitivité. A l’intérieur de l'entreprise coexisteraient donc des formes différentes de numérique, sur des populations différentes, avec des enjeux différents et des effets différents. De manière un peu caricaturale, le "Directeur des Systèmes d’Information" faisant figure du représentant de l’ordre, alors que le "Directeur du numérique" ("Chief Digital Officer") représenterait celui du désordre … Comment réguler la coexistence de ces deux numériques dans l’entreprise ? Comment les réconcilier, les faire travailler ensemble au profit de la performance et de la santé au travail ?

Les échanges ont également permis de constater que la culture "numérique et travail" est en maturation. Il n’est plus considéré comme un sujet autonome qui "tomberait du ciel", mais bien construit, modelé par les rapports sociaux dans l'entreprise. Le droit à la déconnexion a par exemple été abordé par les intervenants : "Comment travailler cette préoccupation et la rendre effective, alors que les jeunes générations, en particulier, n’ont pas d’attente en la matière, sauf celle de pouvoir continuer d’être connecté avec leurs outils personnels ?".

Un rapport au numérique très variable selon le poste, le métier ou la position hiérarchique occupée

Interruption, dispertion, déconnexion et surtravail. Tels ont été les sujets traités lors de l'une des table rondes proposées. En est ressortie l'idée que la variabilité des formes et des usages du numérique au travail ne doit pas faire oublier la question des inégalités qui lui est associée. Ce n'est pas parce que l'on n'a pas d’accès direct à internet ou à une messagerie électronique (pour un certain type d’exécutant), que l’on n'est pas asservi par des décisions prises minute par minute par un Système d’Information. Compte-tenu des logiques de reporting, de standardisation et normalisation des process à l’œuvre, l'éxécutant n'a pas ou peu de voies de recours.

Le rapport au numérique est ainsi très variable selon les postes, les métiers et les positions hiérarchiques occupées. Pour certains il peut constituer une marque de distinction sociale. Certains aimeraient en effet avoir "trop" de courriels, de notifications, ou envoyer des mails à des gens qui les lisent. La surcharge de mails, ou la surabondance d’informations, reste encore assez largement un problème de "cadre branché", travaillant dans le secteur des services. Cependant, le monde du travail ne peut être réduit à cette figure.

Certes, il existe bel et bien une variabilité des formes et des usages du numérique au travail. Il peut révéler des inégalités existantes, mais également en créer. Les entreprises doivent aussi compter avec des formes personnelles d’adoption du numérique par les individus. Les jeunes aimeraient que continue dans le travail le régime de connexion qu’ils se sont façonnés depuis des années. Mais souvent, lorsqu’ils arrivent en entreprise, ils sont décontenancés par l’état de la situation.

Du point de vue des transformations qu’il permet, accélère, relaie ou véhicule, le numérique n’en est qu’à ses débuts. Certaines transformations vont voir le jour, sous l’influence du mouvement des technologies (intelligence artificielle, big data, robot autonome en réseau, allongement de la durée de vie en bonne santé, etc.) et la question de la place du travail humain sera de plus en plus cruciale. Nombreux sont ainsi les acteurs de l'économie qui aujourd'hui se posent des questions en matière d'emploi : va t-on réussir à créer autant d’emploi qu’avant ? Quels sont les métiers non automatisables et non délocalisables ? Il semble donc que nous soyons invités à mettre en débat et réinventer les notions de travail, d'organisation, de rémunération, etc. Mais l’agilité des organisations n’est pas une question nouvelle. Celle de la fragmentation du travail et des parcours non plus. Ce sont donc bien les conditions dans lesquelles ces questions se posent aujourd’hui qui sont renouvelées. Sous l'impulsion du numérique qui accélère et amplifie les mutations, face auxquelles les règles et institutions du monde du travail sont encore largement désarmées.

Un bouleversement structurel du monde du travail

Enfin, et c’est sans doute un des enseignements majeurs, la transformation numérique produit une certaine mise en incertitude structurelle du monde du travail. Pour explorer ces incertitudes, y faire face, les convertir en de nouveaux horizons de développement pour les organisations et les personnes, il convient de continuer leur mise en débats. Revisiter les catégories avec lesquelles nous construisons notre rapport au travail et au monde. Il s'agit également d'outiller l'ensemble des organisations professionnelles sur cette nouvelle donne. C'est l'ambition que le réseau Anact-Aract poursuit au travers de ses travaux d'expérimentations et de transfert de méthodes à destination des acteurs de l'amélioration des conditions de travail.

 

Voir ou revoir l'intervention de Daniel Kaplan

Daniel Kaplan, cofondateur et le délégué général de la Fondation pour l’Internet Nouvelle Génération (FING) est intervenu en conclusion du colloque du 13 juin.

> Replay intégral du colloque

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